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Par Anonyme, le 24.02.2023
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Date de création : 08.02.2015
Dernière mise à jour :
03.12.2025
568 articles
I HERODE
Lentement le bateau transperce l’eau étale, d’un noir profond, laissant derrière lui une longue traînée de bave blanche. Sur le pont supérieur, dans la vigie, une ampoule jaune balance dessinant les contours du capitaine. Assis à la même barre, depuis trente ans, Laurent, transporte une fois de plus, des amoureux, des enfants, des habitants, des touristes ou des commerçants sur l’île de Porquerolles. En ce début de soirée printanière, on entend le bruit sourd des moteurs faisant avancer cette masse de métal flottante. Seules quelques phrases étranges provenant de la cabine de pilotage viennent troubler ce leitmotiv. En s’approchant un peu plus, nous pourrions même entendre un homme massif, à la voix douce et profonde, proférer le texte d’Hérode tiré du drame de Salomé de Oscar Wilde. Au fil du récit, le voilà qui bombe le torse, levant la tête au ciel déclamant avec fureur la fin de l’acte. Il apporte la tête de Jochanaan à Salomé. Il aimerait commander le ciel, exiger que le mistral se lève, que des lames d’eau salées fouettent sa cabine. La voûte céleste se déchaînerait alors avec une rare violence et des éclairs illumineraient ce paysage dantesque. Ce serait alors la fin de la pièce; le moment où Salomé s’approcherait de la tête décapitée de Jochanaan pour l’embrasser.
Sur le visage de Laurent une douleur intense apparaît. L’espace d’un instant la colère creuse ses rides profondes lui intimant de tuer. Des larmes coulent sur sa peau tannée par trop de soleil. Très vite, il reprend ses esprits car l’embarcation arrive à l’entrée de l’île. Le fort sainte Agathe illumine le paysage. Réduisant les moteurs, le bateau accoste en douceur l’embarcadère. Les pneus noirs qui pendent le long des wharfs gémissent un dernier soupir. Il arrête les machines en séchant ses dernières larmes.
C’est à l’armé, pendant les tours de garde, que Laurent avait lu ce drame. Depuis, il n’avait cessé de déclamer les répliques d'Hérode, si bien que tout le monde l’appelait ainsi. Bien-sur son rêve aurait été de le jouer un jour sur scène. Mais la vie en avait voulu autrement. Embauché pour une saison seulement dans la société de navettes qui rejoint la tour fondu à Porquerolles, Hérode le marin y resta toute sa vie. Adieu rêves de gloire, troublant la mémoire, les planchés grinçants, les rideaux de velours rouge qui tombent comme une guillotine entre les acteurs et les spectateurs. Il faut du courage et de l’ambition, quand on est provincial et que l’on rêve d’évoluer sur les planches. Et puis la vie était douce dans le coin. Tous les jours il voyait cette île se réveiller, tandis qu’il s’en approchait doucement. Cette île suspendue entre les éléments, comme un écrin de verdure face à une côte dénaturée. Il sentait les effluves de pins, d’eucalyptus et de tant d’autres plantes qui tous les jours, depuis si longtemps, embaumaient ses narines et son cœur.
Cette année était la dernière. Le glas de la retraite allait bientôt sonner et Hérode quitterait à tout jamais son costume de capitaine. Un départ discret et solitaire, tout en douceur, a l’image de sa vie.
Creuse la terre, creuse le temps…
II L’ART ET LA NATURE …
- Mesdames et Messieurs, vous pouvez admirer à la gauche de l’appareil, l’île de Porquerolles. L’atterrissage aura lieu dans quelques minutes, la température extérieure est de 26° veuillez attacher…
Blotti dans le confort et la douceur des sièges de première classe, un couple entre deux ages discute. Lui, est organisateur de spectacle. La femme qui l'accompagne le suit depuis 25 ans. Jadis, il lui avait fait une promesse : " Le jour où j’arrête les spectacles, nous partons, rien que tous les deux, dans une petite île de la méditerranée, à Porquerolles ». Marcelle attendait cela depuis si longtemps…
L’atterrissage se fit en douceur. Une vague de chaleur chargée d’air marin et de kérosène envahit la cabine de l’avion. Un taxi les conduisit au port de Giens.
Le couple s'approcha du quai. S'adressant au comptoir de la société maritime assurant la navette entre le continent et l'île, l'homme demanda :
- Bonjour monsieur, deux tickets pour Porquerolles s’il vous plait.
- Voilà messieurs dame, 174 francs.
Lionel Moroni fit la grimace. Même s’il n’avait jamais manqué d’argent il détestait se faire gruger.
- Hé bien cher ami, je comprends pourquoi vous l’appelez l’île d’or ! Ce n’est pas un euphémisme, lança-t-il avec panache.
Plus il avançait dans l’âge et plus il avait du mal à encaisser les mesquineries des administrations et les profits réalisés sur le dos des pauvres gens.
Afin de calmer ses vieux nerfs, il monta sur le pont supérieur, seul. Captivé par la lenteur hypnotique de la mer, il laissait librement dériver ses pensées mais cet état de béatitude fut troublé par un étrange monologue. Quelqu'un déclamait Oscar Wilde. Les premières répliques de « Salomé » provenaient de la cabine du capitaine. Moroni s’assit derrière et écouta cet homme qui connaissait sur le bout des doigts, le chef d’œuvre du poète irlandais. Ce soir-là, Hérode, jouait dos à son premier spectateur. Les émotions émanant du vieux marin, bouleversaient Moroni. La colère, la tristesse, l’amour, la joie de voir Salomé danser pour lui, la haine et le dégoût furent au rendez-vous de ce spectacle insolite. Il descendit sans bruit, retrouver sa femme qui, volontairement, ignora ses larmes.
En s’éloignant du bateau, il regarda encore cet homme. Il le voyait ranger ses maigres affaires, grand, robuste, avec de beaux cheveux ondulés d’un blanc immaculé.
« Quel dommage, tout de même » pensa-t-il.
La nature imite l’art, cette phrase d’Oscar Wilde obsédait Moroni. Les émotions que lui procurait l'île depuis maintenant une semaine, par ses harmonies de couleurs et cette douceur de vivre, étaient les mêmes que celles que lui aurait offertes une œuvre d'art.
Pourquoi ne pas associer les deux, se dit-il. La place d’arme est un théâtre à ciel ouvert parfait.
Moroni voulait renouer avec la genèse du spectacle. De villages en villages, les troubadours d’autrefois se produisaient devant des spectateurs de tous milieux sociaux et de tout âge.
III LE PROJET MORONI
Yannick, le directeur de l’hôtel où logeait L.Moroni et son épouse, était un jeune homme plein d’élan. Depuis déjà plusieurs années, il s'efforçait, avec l'aide de quelques commerçants, d’animer la place du village. Cela allait du concours de pétanque au bal du 14 juillet. Moroni savait qu’il pourrait compter sur cette poignée d’hommes de bonne volonté. Il organisa un dîner dans le meilleur restaurant de l’île, qui offrait l’avantage de se trouver relativement éloigné de la place du village.
A vingt heures trente, ils se réunirent autour d’une bouteille de vin rosé frais provenant de l’île.
- Messieurs, laissez-moi tout d’abord me présenter. Je suis Lionel Moroni, organisateur de spectacle à Paris, depuis une semaine à la retraite.
Tour à tour les convives déclinèrent leur identité et leur profession.
D’un air enjoué, Moroni évoqua son arrivée sur l’île. Il parla de ce marin, que tout le monde nommait Hérode et de sa prestation dans son rôle de prédilection. Il y mettait tellement d’énergie, que Yannick sentait ses poils se dresser sur la peau.
- Aussi, Messieurs, je voudrais organiser mon dernier spectacle ici, sur la place d’arme. Ce spectacle sera : « Salomé » avec dans le rôle principal Hérode le marin.
- Et de quoi ça parle votre « Salomé », demanda le Napolitain, un vieux marin au regard clair avec du poil plein les oreilles.
- Hé bien, voilà. L’action se déroule au début de l’ère chrétienne, répondit Moroni en
déployant toute sa verve et en mettant tout son cœur pour convaincre son auditoire. Une nuit sur la terrasse du palais, Salomé, belle fille d’Hérode, est observée avec passion par Narraboth, capitaine de la Garde. Jochanaan, prophète, est emprisonné dans une citerne pour avoir diffamé Hérode. Il proclame l’arrivée de Jésus mais son appel rencontre l’incompréhension des gardes. Salomé entend le prophète. Elle parvient à convaincre les gardes de le faire sortir afin de le voir. A la fois fascinée et apeurée par ses prophéties, Salomé se prend de passion pour cet homme. Narraboth ne peut supporter la scène et se tue à l’aide d’un poignard. Jochanaan est reconduit à la citerne. Hérode, Hérodias, sa femme et la Cour sortent sur la terrasse.
Ils y trouvent le cadavre de Narraboth. Hérode tente de distraire Salomé tandis que la voix du prophète retentit, s’en prenant à Hérodias. Une controverse s’ensuit entre celle-ci et Hérode tandis que Jochanaan annonce la venue du Messie. Hérode supplie Salomé de danser pour lui, promettant monts et merveilles. Salomé finit par accepter au grand dam de sa mère. Hérode est subjugué mais Salomé exige comme prix la tête de Jochanaan. Après avoir refusé puis, tenté de réduire son exigence, Hérode finit par céder et le bourreau descend dans la citerne. Il ressort brandissant la tête du prophète dont Salomé s’empare. Elle lui parle et finit par baiser ses lèvres tant désirées. Hérode, horrifié, donne l’ordre de tuer Salomé.
- Mais nous n’avons pas d’estrade assez grande, ni de projecteur, ni de costume, ni de fauteuil, nous n’avons rien, rien, rien s'emballa Yannick, passionné par une telle perspective.
- Ne vous inquiétez pas. Je m'engage à produire la pièce. Je fournirai le matériel nécessaire et je me charge de la distribution. Le spectacle m’a procuré assez d’argent, pour que je puisse lui faire ma révérence avec élégance.
Robert prit la parole. C’était un homme de cinquante ans, qui n’avait jamais quitté son île natale.
- Bon très bien, vous vous occupez de tout mais si vous nous avez invités, c’est que vous avez besoin de nous quelques part, non ?
- En effet, je ne connais personne sur l’île et pour monter un spectacle il faut des autorisations. Le Maire n'acceptera le projet que si la population le cautionne. C'est à ce niveau que j'ai besoin de vous.
Enorgueilli par sa soudaine importance, Robert acquiesça. Tous se quittèrent, quelque peu éméchés, devant l’église du village en forme de fusée.
Le lendemain matin, les organisateurs se mirent en branle pour réaliser le projet. Moroni et Yannick furent reçus par le Maire et lui exposèrent leur projet. Bon enfant, l'élu accepta et pour faciliter la tache, il délégua l'équipe municipale des fêtes et cérémonies à la préparation de la place d'arme.
Le reste de la journée, Moroni le passa au téléphone. Il lui fallait dénicher une Salomé et un Jochanaan. Pour le reste, il était persuadé de trouver sur l'île des hommes et des femmes capables de jouer les seconds rôles. Son ami, l’actrice Delphine, avait déjà interprété Salomé. Il la contacta à Cannes, où elle avait ouvert un cours de théâtre et n'eut aucun mal à la convaincre. Pour le rôle de Jochanaan, Moroni pensa à Thierry Galliano. Galliano était un revendeur de fruits et légumes qui avait, prématurément, interrompu ses cours au conservatoire de Paris. Promis à un brillant avenir dans la profession, il avait un jour tout quitté pour suivre une africaine dans le sud de la France. Depuis, il coulait des jours paisibles avec Estelle et Antonio, leur fils, prés de Toulon.
- Allô ! Thierry ? Lionel Moroni à l'appareil.
- Oh ! Ca alors ! Si tu savais comme ça me fait plaisir de t'entendre.
- Ecoute j'ai un petit service à te demander. Imagine-toi que …
Au bout de quelques minutes, Galliano promit de jouer Jochanaan. Il ne restait plus qu’à convaincre Hérode le marin.
IV LE JOLI MOIS DE MAI
- Bonjour, vous êtes Hérode le marin n’est-ce pas ?
- Oui m’sieur ! J’peux faire quelque chose pour vous ?
- Oui, voilà, Je suis Lionel Moroni. J’organise des spectacles depuis plus de quarante ans sur Paris et à travers toute la France.
- C’est un bien beau métier, répondit Hérode mélancolique.
- Ecoutez, bien malgré moi, je vous prie de le croire, je vous ai entendu l’autre jour dans votre cabine.
- Vous m’avez entendu ? Mais je ne vous ai pas parlé moi, je ne vous connais même pas !
- Là n’est pas la question, je vous dis que je vous ai entendu ! Vous déclamiez…Oscar Wilde.
Surpris, Hérode observa Moroni un instant avant de lui répondre. Comme tous les gens simples, il était gêné. Il ne savait pas si l’on se moquait de lui ou si on le congratulait.
- Bon et alors ? Vous voulez m’engager à Paris, dit-il, ironique.
- A Paris, peut-être pas mais … vous avez vu juste ! Je suis là pour vous engager.
- Quoi ? Attendez mon bon Monsieur. Allons discuter dans le bateau, nous serons plus tranquilles.
Entre deux bouées orange et une corde impeccablement enroulée, Moroni exposa à Hérode les grandes lignes de son projet. Il lui fit part de son intention de monter la pièce pour le mois d’août. Il lui expliqua que sa prestation l’avait impressionné et qu’il était sûr de ne pas se tromper en faisant appel à lui pour jouer le rôle du Roi Hérode.
Surpris par cette proposition inespérée, Hérode, dont les yeux brillaient de mille feux sortit d’une petite étagère une bouteille de pastis. Il prit dans le réfrigérateur une carafe d’eau glacée et cassa quelques glaçons.
- Vous Savez Monsieur Moroni, j’ai attendu ce moment toute ma vie ! Je n’y croyais plus, dit-il en essuyant une larme. Votre Hérode, je vais vous le jouer et gratuitement encore !
Marcelle et Lionel prirent leur repas à l’hôtel ce soir là. Caressant la main de sa femme Moroni pensait à tous ces poètes dont le but était de figer le temps. Lui qui avait passé sa vie à essayer de modifier dans le creux de sa main, la ligne d’un bonheur inconnu et incertain… Il songeait enfin à se fixer. « Et pourquoi pas sur l’île ? Le mois de mai y est si doux… »
V LE TEMPS DES FESTIVITES
Les répétions allaient bon train en cette fin de printemps. Tous les samedis et dimanches matins, les comédiens se réunissaient pour répéter. Hérode s’avérait un grand acteur. Par son talent, son éloquence et son sens inné de l’art dramatique, il avait gagné le respect de tous. Delphine et Galliano, par ailleurs excellents, le considéraient comme leur égal.
Bientôt, la douceur du printemps faisant place aux premières chaleurs estivales, les répétitions furent déplacées en fin d’après-midi. On accéléra également le rythme. Désormais acteurs professionnels et amateurs devaient s’organiser pour répéter 5 fois par semaine.
- A-t-on fixé une date, demanda Roland, l’architecte de l’île.
- Le 10 août répondit Moroni. Nous jouerons le 10 août.
- Et pourquoi pas le 9 ou le 8 questionna Galliano, taquin.
- Pour deux raisons : tout d’abord parce que le 10 août tombe un vendredi cette année. Deuxièmement parce que c’est la saint Laurent.
- Et Alors qu’y a-t-il de spécial à la saint Laurent ?
- Peut-être l’ignorez-vous mais Laurent est le véritable prénom d’Hérode. Ce sera l’occasion de lui rendre un bel hommage. Et puis nous en profiterons pour fêter saint Laurent. Ce fut un personnage au destin bien cruel. Figurez-vous qu’il distribua les biens de l’église aux pauvres. Pour son méfait il fut martyrisé et placé sur un gril chauffé par des charbons ardents. A la stupeur générale il aurait trouvé le courage de se moquer de son bourreau en demandant à être retourné et mangé.
- Ca alors, répondit Galliano estomaqué.
- Nous célébrerons sa mémoire en jouant devant l’église, en imposant la gratuité du spectacle et nous finirons par un somptueux banquet digne d’Obélix et d’Astérix.
La proposition de Moroni fut accueillie avec enthousiasme et acceptée à l’unanimité.
Au mois de juillet les répétions redoublèrent d’intensité. Moroni avait tenu à mettre en scène lui-même le spectacle. Rien ne fut laissé au hasard. Lors de la première répétition en costume, Hérode, qui décidément pleure beaucoup dans cette histoire, fondit en larme en voyant la beauté des effets des acteurs. Le soir de la générale, quelques personnalités locales eurent le privilège de découvrir la pièce en avant première. Tous furent emballés. L’avocat toulonnais, maître Soulimant, le promoteur immobilier W. Rèche, l’évêque Monseigneur Popéu, tous saluèrent par une ovation la performance des comédiens.
- Rentrons chez nous maintenant ordonna Moroni car demain, c’est le grand jour.
Comme chaque soir avant une première, Lionel s’agenouilla prés du lit. Il fit sa prière et se coucha en espérant trouver le sommeil rapidement.
Aux premières lueurs du jour il se leva pour se rendre sur la place. Les mains dans le dos, Hérode le marin faisait les cent pas.
- Bonjour Hérode !
- Heu… Bonjour monsieur Moroni, je répétai dans ma tête la dernière scène.
Moroni s’assit sur le bord de l’estrade. Hérode l’imita.
- Cela fait trente ans que je m’occupe de spectacles et jamais je n’ai pu m’endormir correctement la veille d’une première.
- Vous, au moins, vous avez dormi ! Moi je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.
Ils se sourirent affectueusement.
En bas de la place, dans la rue principale de l’île, on vit apparaître la silhouette de Galliano. Il pédalait péniblement, avec sur son porte-bagages Delphine, peu rassurée.
- Tiens eux non plus ne dorment pas, s’exclama Moroni en se relevant. Venez ! Je vous offre le petit déjeuné.
Tous les quatre se rendirent dans le seul bar ouvert à cette heure matinale et avalèrent tant bien que mal, leurs petits crèmes face au port encore endormi.
La journée ne fut que préparatifs de dernières minutes. Vers dix-neuf heures, la place se remplit d’hommes et de femmes du continent. Ils s’étaient mis sur leur 31. Ils prirent d’assaut les terrasses pour siroter leur pastis sous les eucalyptus. On se serait cru à Paris au XIX ème siècle lors des premières de spectacles. Derrière le rideau de velours rouge, maquilleuses, éclairagistes, habilleuses et accessoiristes s’agitaient dans une effervescence communicative.
Vingt heures trente. TOC TOC TOC TOC TOC TOC TOC.
L’île se tue. Même les cigales retinrent leur souffle. Dans un silence religieux le rideau s’ouvrit. A tour de rôle les acteurs se succédèrent sur le devant de la scène. Comme dans un rêve ils interprétèrent leurs personnages avec panache. Pour la dernière scène, Hérode regardait le corps sensuel de Delphine, alias Salomé, onduler sur une musique envoûtante. Ses formes généreuses se balançaient autour de lui. Fasciné par tant de beauté, il était fier et droit dans son beau costume sombre et rouge. Les spectateurs, hypnotisés par tant de grâce, regardaient les artistes évoluer. Les hommes désiraient Delphine. Les femmes la jalousaient en silence. Les petites filles l’admiraient.
Tel un couperet, le rideau tomba. Les artistes se congratulèrent tandis que les spectateurs applaudissaient à tout rompre. Pour saluer le public, les comédiens retournèrent sur scène en compagnie de Moroni. Fou de joie, il sauta au cou du marin.
Aujourd’hui, Hérode ne conduit plus de bateau et il ne joue plus de tragédie. Il a pris sa retraite sur l’île. On le voit quelque fois, au crépuscule, remonter la place des armes. Il se rend seul à l’église. Pour le trouver ce n’est pas difficile. Cherchez la statue de saint Laurent. Il devrait prier à ses pieds...